« Je me sens coupable », « C’est de ma faute de toute façon » ce sont des phrases que tu as peut-être déjà dites ou pensées très fort … La culpabilité est un sentiment très courant chez les personnes qui ont vécu des violences sexuelles. Alors ensemble, on va essayer de comprendre d’où elle vient, et comment on peut la gérer.
Je me sens coupable, mais de quoi ?
La culpabilité peut-être un sentiment diffus, on sait qu’on se sent coupable mais on ne sait pas de quoi exactement. Une première étape peut être d’explorer ce sentiment pour mieux le travailler. On peut ainsi dégager plusieurs formes de culpabilité :
- La culpabilité pendant les faits : on peut se sentir coupable d’avoir été acteur de l’activité sexuelle, de l’avoir même provoquée. C’est encore plus fort quand on a conscience que c’est interdit ou que l’agresseur nous fait porter cette responsabilité.
- La culpabilité d’avoir des sentiments affectueux par rapport à l’agresseur·euse : souvent les auteurs sont des personnes connues de la victime, des personnes de confiance auxquelles on tient, on peut se sentir coupable de ressentir de l’affection pour une personne qui nous fait du mal.
- La culpabilité d’avoir ressenti du plaisir pendant l’agression : le fait de ressentir cela ne veut pas dire qu’on était d’accord ou qu’on a apprécié l’activité sexuelle. Le corps réagit biologiquement aux stimulations sexuelles et tu n’y peux rien si ton corps a fait le lien entre cette stimulation et le plaisir. C’est une réaction mécanique, hors de contrôle qui ne dit rien de ton consentement.
- La culpabilité de briser le secret : on peut avoir très peur de faire exploser la famille si on dit ce qu’il s’est passé. On peut aussi se sentir coupable de trahir le secret qu’on a avec l’agresseur·euse.
- La culpabilité des conséquences sur l’agresseur·euse.
Comment la culpabilité se traduit dans mon corps et mon esprit ?
Ces différentes culpabilités peuvent s’exprimer de plein de manières différentes, on en décrit quelques-unes ici mais peut-être que ta façon de la ressentir et de l’exprimer est différente mais elle est tout aussi importante.
On peut entendre comme une petite voix qui tourne en boucle dans la tête et qui nous répète que c’est notre faute, qu’on l’a bien cherché, qu’on le mérite, qu’on aurait dû faire quelque chose pour l’empêcher. C’est notre culpabilité qui parle et qui devient alors de plus en plus forte.
La culpabilité peut aussi se traduire dans le corps ; on veut se punir, on est dégoûté·e de ce corps, on le punit lui aussi : on arrête de manger, de prendre soin de soi, on se mutile. Ça peut être très fort quand on ressent la culpabilité d’avoir pris du plaisir pendant les violences sexuelles.
La culpabilité est tellement forte que parfois elle nous empêche de parler de ce qu’on a vécu. Alors, on s’isole et on peut alors se sentir très seul·e, très triste, se refermer sur soi.
Les réactions de survie
« Je ne me suis pas défendue, je n’ai pas crié, du coup c’est de ma faute. Je n’avais qu’à partir ou dire non », c’est ce qu’on se dit souvent après, mais c’est un raisonnement dans lequel on ne prend pas en compte un élément très très très important : les « réactions de survie ».
Quand nous subissons une violence sexuelle, même s’il n’y a pas de menace physique, il y a une menace psychologique. Quand c’est comme ça, notre cerveau se met en « mode survie », c.à.d on se met à fonctionner comme les animaux quand ils ont peur. A partir de ce moment-là il y a 4 options : fuir – combattre – se figer – ‘se complier‘. Fuir et combattre peuvent nous apparaître comme des options risquées ; on pourrait être encore plus blessé·e. Souvent les victimes de violences sexuelles se figent. Parfois elles ont même l’impression d’être ailleurs, voire en dehors de leur corps. L’autre façon de réagir très courante on l’appelle « la compliance », c’est le fait de faire ce que l’abuseur demande, on est comme un robot qui obéit aux ordres, sans réfléchir.
Toutes ces réactions sont automatiques, c’est-à-dire que c’est une partie du cerveau sur laquelle on n’a pas de contrôle qui choisit quelle réaction on adopte, on n’a pas le choix.
Le problème c’est que quand on sort de la situation de stress, on se remet à réfléchir avec les autres parties du cerveau (qui étaient éteintes au moment de l’agression à cause des hormones de stress) et on ne comprend pas du tout pourquoi on a réagi comme ça. Comme dans notre quotidien, on choisit ce qu’on fait et dit, on a beaucoup de mal à comprendre comment on a pu avoir un comportement qui nous ressemble si peu.
La crainte de faire exploser la famille : Qui doit se sentir coupable ?
Les victimes mineures subissant des violences sexuelles de la part des adultes se sentent parfois elles aussi coupables. Parce qu’ielles se disent qu’ielles auraient dû dire non, ou fuir, ou se défendre, ou savoir. Ici, on oublie qu’une relation enfant-adulte n’est pas une relation d’égal à égal. Les adultes sont responsables de leurs comportements et connaissent les lois et les règles. Jamais un·e enfant ne devrait porter cette culpabilité. C’est à l’adulte, qui lui sait ce qu’il fait, de se sentir coupable s’il a un comportement qui transgresse les lois en abusant d’un·e enfant ou d’un·e adolescent·e.
Si p.ex. une petite fille de 6 ans demandait à son oncle de la toucher sous sa culotte, c’est à l’oncle de lui dire non, de lui expliquer pourquoi ça ne se fait pas et de lui apprendre les limites de son intimité, les zones de son corps qui lui appartiennent.
Il arrive que les victimes gardent le secret pour éviter les conséquences sur l’agresseur, sur sa famille à lui. Mais c’est à l’adulte de se responsabiliser, et d’assumer les conséquences de ses actes. Cette personne savait ce qu’elle faisait et qu’elle enfreignait la loi. C’est à elle d’assumer les conséquences sur sa vie et celle de sa famille. La victime a déjà beaucoup à faire avec tout ce que l’agression a fait comme dégâts, elle ne peut pas en plus porter la culpabilité de l’agresseur. Cette culpabilité que parfois il refuse d’assumer.
Parler aux bonnes personnes
Quand on a subi une agression, on a peur de ne pas être cru·e, et on a aussi peur des questions qu’on pourrait nous poser. Les questions comme : « Mais qu’est-ce que tu faisais là ? », « Comment tu étais habillée ? », ou encore « Pourquoi tu as parlé avec eux ? » sont des questions qui culpabilisent les victimes d’agressions sexuelles, parce qu’elles sous-entendent que la victime est en partie responsable de ce qui s’est passé, alors que C’EST FAUX ! Aucune tenue, aucun endroit où on se trouve, aucun flirt, ni même un verre de trop, ne justifient une agression sexuelle, AUCUNE EXCUSE OU RAISON N’EXISTE POUR ÇA. Quand la personne à laquelle on essaie de parler se montre culpabilisante dans ses propos, on parle de « victim blaming ». (Donc, si tu es un.e proche d’une victime, on te conseille d’éviter les questions qui commencent par « pourquoi »).
Souvent, cette attitude vient du fait que la personne qui t’écoute, tout comme toi, ne veut ou ne peut pas croire tout de suite que son ami/copain/cousin/voisin/oncle/père soit coupable de tels faits. C’est ‘compréhensible’ vu qu’en quelque sorte c’est aussi un choc pour celui qui apprend la nouvelle. Ça bouscule son monde, comme ça a bousculé le tien. Sache que c’est une réaction courante, et qu’on peut arriver à la dépasser, ensemble.
Si dans un premier temps on a peur des réactions de ce genre, il faut essayer de trouver les bonnes personnes à qui en parler, celles qui auront une réaction juste, adaptée, soutenante. Tu pourrais te confier à un très bon copain/une bonne copine, à un·e professeur·e, une amie de tes parents pleine de calme et de bienveillance, ta marraine ou ton parrain si tu as un bon lien avec eux, un·e psychologue ou quelqu’un du PMS. Parfois une autre victime peut te soutenir comme il faut. Et bien sûr tu peux venir en parler sur notre tchat. Nous sommes là pour t’aider précisément là où tu en as besoin.
Il y a aussi plein de pages sur les réseaux sociaux qui parlent de ces thématiques et permettent de se sentir soutenu·e et moins seul·e (p.ex. @theokconsent, @noustoutesorg, @enavanttoutes).
Et après ?
Quand on a réussi à se débarrasser de cette culpabilité (on peut y arriver, mais souvent on va avoir besoin d’aide pour cela, c’est normal), parfois c’est de la colère qui prend sa place. Si on n’est plus responsable, alors c’est l’autre qui l’est et on est en colère contre lui/elle ou contre cette injustice. Cette colère elle peut être très forte, envahissante et c’est tout-à-fait OK ! On peut accueillir cette colère, la laisser s’exprimer en criant, en écrivant, en dessinant, en parlant, en faisant du théâtre, en portant plainte, etc. Il y a des milliers de façons de laisser s’exprimer cette colère. On peut aussi se sentir très triste, et ça aussi c’est OK.
On espère que cet article a pu t’éclairer sur le sentiment de culpabilité et que tu le comprends un peu mieux maintenant. Tu peux avoir besoin d’un soutien ou d’une aide professionnelle pour agir sur ta culpabilité ou poser des questions, c’est tout-à-fait normal. N’hésite pas à venir en discuter avec nous sur le tchat maintenant j’en parle. Nous sommes là pour toi.